Et vous, vous faites comment pour supporter ça ?

D’abord, je fais comment pour vous suivre en groupe ? Déjà pour lire sur les lèvres, je suis supposée connaître le contexte et l’autre doit parler moins vite que d’habitude.
Si je ne connais pas le contexte ou que mon interlocuteur n’articule pas, que se passe-t-il à votre avis ? Soit on fait chacun des efforts et ça roule, soit on laisse tomber et chacun repart de son côté.

En groupe avec les entendants, comme en réunion de famille ou avec une bande d’amis, à votre avis, je fais comment ?

Je me débrouille pour ne pas m’ennuyer avec les entendants, je cherche une conversation, je cherche un échappatoire pour m’évader de cette situation, je me réfugie dans mes pensées.
Car je ne peux pas tout le temps vous demander de me répéter, de me regarder en face quand vous parlez.
Pour moi, c’est à la personne qui parle, qui doit me répéter. Mais est-ce que je dois vous demander de répéter toutes les 5 minutes ? Je sais que ça vous fait chier et pourtant, je ne le fais pas car je l’ai déjà fait dans mon passé… faire répéter… Franchement, vous croyez que c’est quelque chose de naturel chez moi ?

Non.

C’est à vous de vous adapter à moi comme je m’adapte à vous… Franchement, est-ce trop vous demander de vous adapter à moi pendant les 5 petites minutes de votre vie, le temps que je suis là devant vous ?

C’est à cause de ça que j’ai laissé tomber certains amis, que j’évite des c*** au boulot et que j’ai conservé les liens avec les personnes les plus compréhensives.

Même mon mari me dit : je ne comprends pas pourquoi tu les vois encore, tu te fais chier avec eux, personne ne te parle. Alors merci à lui, merci de m’avoir donné du courage pour m’éloigner de  certaines personnes qui sont devenues du poison dans ma vie.

Source Fondation Magritte

Source Fondation Magritte

Mais, au boulot, avec ma famille, c’est difficile de prendre du recul ou de leur expliquer ce que je ressens : ce sont des personnes qu’on ne choisit pas, des gens qu’on aime ou pas, des gens qu’on est un peu obligé de voir presque tous les jours.

Alors, parfois, je m’évade quand je peux, je respire, je recharge ma batterie…
J’invite le moins souvent possible mes proches, je pars plus tôt que les autres, j’ai l’impression de perdre du temps parce que je m’ennuie avec les gens qui ne font pas attention à ma présence.
J’ai l’impression d’être inutile avec eux ; j’ai l’impression qu’ils font ça pour me faire plaisir.
Il suffit de me le dire et qu’on en reste là. Mais, non, on continue à être hypocrite ou à faire semblant. Et ça, c’est dommage.

Le pire, c’est que les gens croient que c’est normal, le fait que je reste immobile comme une plante décorative. Pourtant, parfois, en moi, je bous de colère, de frustration ou d’ennui… J’ai envie de me casser de là mais, parfois, je ne peux pas. Parce que je suis sympa, gentille. Oui, peut-être trop gentille…

Ce n’est pas poli de quitter la table avant la fin du repas, mais combien de fois je le faisais au boulot (maintenant, moins souvent), à l’heure du déjeuner quand je trouvais le repas in-ter-mi-nab-le… surtout quand on me dit : déjà, tu as fini de manger ?!

Combien de fois je me casse avant la fin d’une soirée ?

Combien de fois je sors un livre dès que je commence à m’ennuyer, où que je sois ?

Combien de fois je rêve de pouvoir dire NON et de dire : je me fais chier avec vous, faites des efforts, bordel de merde ! Je me fais grave chier avec vous, vous le savez très bien, ça se voit et vous croyez que ça ne me fait rien parce que je ne dis rien, parce que je ne vous parle pas de ce que je ressens.

Mais c’est tellement difficile de s’exprimer, de vous en parler. quelqu’un qui me connaît très bien peut deviner ce qui se passe au fond de moi. Alors, en parler avec tous les entendants que je croise, vous croyez vraiment que c’est aussi simple que ça, de m’épancher sur quelque chose qui me serre le coeur ?

Toute ma vie, j’ai appris la politesse, la bonne éducation et je remercie mes parents pour cela mais entrer dans le moule de sourde parfaite, celle qui fait semblant de tout comprendre, celle qui reste de marbre quand tout le monde rigole, c’est impossible, c’est fini maintenant.

Surtout depuis que je suis devenue maman.

Comment ne pas s’étonner devant les témoignages des sourds qui préfèrent fréquenter des sourds et tout le temps ? Eh bien, moi, je les comprends.

Heureusement, certaines personnes me tendent une perche quand je commence à couler au fond de mon gouffre personnel, et je vous adore !

5 réflexions au sujet de « Et vous, vous faites comment pour supporter ça ? »

  1. MadameHiberne

    Ton billet résonne en moi, il me fait de la peine et me renvoie à ma propre douleur. Surtout dans les liens professionnels, je n’ai pas « d’amis » au boulot, je passe pour une asociale, personne ne m’aime, je ne déjeune plus sur place, je ne peux pas participer aux conversations de bureau parce que ça parle dans tous les sens et que je ne peux pas suivre, que personne ne cherche à m’intégrer à ces conversations…
    Que c’est dur !
    La semaine dernière j’ai vu mon ORL et comme souvent à évoquer tout ça j’ai fini en larmes. Il disait qu’on vit dans un monde d’entendants. Et oui malheureusement… Ce serait à nous de nous adapter aux autres parce que les autres ne veulent pas s’adapter à nous. Mais ils ne comprennent pas qu’on NE PEUT PAS, qu’on est déjà au maximum de nos capacités, qu’on ne peut pas lutter contre le handicap, y a pas de recette magique pour nous permettre d’entendre.
    Bref mon commentaire n’amènera pas grand chose mais comme je te comprends.
    Et comme toi, je souffre !

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  2. PARRAGWLADYS

    Tout est là, tout est dit… Rien d’autre à ajouter… Si ce n’est que quand je regarde mes enfants… Leurs grands yeux, leurs petites bouilles et leurs si beaux sourires … Je me dis « non… il faut continuer… Il faut se battre… » Maman n’entend pas mais elle est là… Avec sa sensibilté, sa fragilité et… sa différence… Il me faut, quelques fois, des jours pour y parvenir tellement la fatigue, l’épuisement et même la colère prend le dessus … Mais pour le moment … J’arrive encore à me relever… Merci infiniment pour ton billet…

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  3. Morgan.Robin

    Ah je vois que je ne suis pas le seul a l’avoir vécu,
    je te remercie pour ton témoignage 😉

    ton récit me fait rappeler que quand j’étais un jeune adolescent quand il y avait des conversations a table avec ma famille, je demandais tout le temps  » qu’est ce qu’il y a ?  »  » qu’est ce qu’il a dit ?  »  » pourquoi vous rigolez ?  »
    a force de demander, j’en avais ras le bol je ne sais même plus combien de fois j’avais tellement envie de taper violemment le poing sur la table et dire que je suis là et que je comprends rien a ce qu’ils disent mais je ne l’ai jamais fait parce que ce n’est pas du tout de leur faute et c’est pas évident pour eux de parler a un sujet qui pourrait être passionnant et ça fait oublier des choses autour de soi.

    (surtout même moi quand j’avais invité un cousin a une fête des sourds, je me suis rendu compte que c’était pas toujours évident de penser a mon cousin qui ne connait rien de la langue des signes pendant que je parle avec quelqu’un, on oublie facilement mais j’avais pas oublié car vu ce que j’avais vécu, ce n’était pas possible que je le laisse s’emmerder)

    j’avais fini par arrêter de demander et j’attendais tout simplement qu’ils me le disent eux mêmes quand ils y pensent ou par envie.
    au début ils y pensent pas tout de suite mais petit a petit et de plus en plus souvent ils se disent  » attends il faut lui expliquer de ce qu’on parle  »
    maintenant je ne peux pas dire que c’est parfait malheureusement mais les efforts ils en font tout le temps et ça me suffit amplement même si j’aimerai bien participer a toutes les conversations mais il faut savoir s’en passer outre et c’est avec l’expérience et le temps qu’on finit par tout accepter (surtout quand on aime sa famille <3) 😉

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  4. Julien

    Un petit mot de soutient.
    Je suis entendant, j’apprends à signer depuis quelques mois. J’ai aussi appris à mieux comprendre le monde des sourds. Mes amis sourds ont pris le temps de m’expliquer tout ce que vous avez décris.
    Maintenant je sensibilise mes amis, mes collègues de bureau à la surdité. Ce n’est pas simple, mais c’est déjà un plus.
    N’hésitez pas à dire à vous amis, collègues entendants que clairement, là vous vous ennuyez ! Et s’ils ne comprennent toujours pas c’est peut-être des personnes qui ne méritent pas d’être fréquentés ?
    Courage, tous les entendants ne sont pas comme cela !
    julien

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  5. Marie

    Toute la soirée j’ai dévoré ton blog… et je suis épaté et admirative de tous ces billets que tu écris sur ton quotidien, sur ta surdité, sur ton statut de maman… Je suis malentendante (et malvoyante accessoirement), ou sourde sévère (je cherche encore comment me décrire). Ce billet c’est comme un livre ouvert d’un long chapitre de ma vie… Aujourd’hui c’est toujours aussi difficile, voire un peu plus puisque ma surdité est évolutive mais lorsque je suis devenue maman, j’ai commencé à réagir… pas tout de suite, ça m’a pris des années… mais de plus en plus souvent j’arrive à dire STOP, à expliquer (des cons y en aura toujours), et j’assume de plus en plus ma surdité, comme faisant partie de moi… et l’arrivée de mon enfant dans ma vie m’a fait comprendre au fil des années que ce n’est pas ma surdité qui me définit, et certainement pas la conn**ie humaine.

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