Ce billet est exceptionnellement très long car c’est quelque chose qui me tient à coeur.
Pour commencer et avant de lire la suite, je voudrais partager avec vous, cet article très intéressant qui m’a donné l’idée de ce billet : « la fragilité n’empêche pas la performance »
Une anecdote
J’ai plein d’anecdotes dans ma poche mais j’ai choisi celle-ci…
J’ai osé dire à un collègue que je n’ai rien compris à sa discussion avec un autre (qui me connait un peu plus). On était 3 dans une petite salle (mal aménagée, ce qui n’a pas arrangé les choses) et ils discutaient devant moi comme si je n’étais pas là. Puis on me demande mon avis. J’ai été obligée d’être aussi directe avec le premier :
Je n’ai rien compris.
Soudain… un temps mort, un gros blanc, ou une mouche qui passe, comme vous voulez…
Puis il s’est repris, j’ai essayé de lui donner des pistes comment m’expliquer, qu’il peut écrire pour que je le comprenne… il a essayé de m’expliquer, il a écrit sur son cahier de notes. Il a fait des efforts et moi aussi pour le mettre à l’aise.
Après la réunion, je lui ai envoyé un mail privé en expliquant que cela m’arrive d’être ainsi avec tout le monde quand je ne comprends pas, quand je n’ai pas compris un mot ou une phrase entière en lisant sur les lèvres. C’est normal comme attitude. C’est moi, quoi ! Puis il a reconnu avoir des difficultés.
Et quelle bonne surprise quand je le revois 2 mois après, pour un autre projet… il fait attention à moi !
Aujourd’hui, il est à l’aise avec moi, il a du en discuter avec quelqu’un et / ou réfléchi à tout ça. Je me suis dit après ça, que j’ai bien fait de lui parler par mail, pour dissiper ce malaise.
Une certaine maturité
Même si je sais que c’est normal pour moi qui suis sourde, je dois m’assurer de comprendre ce qu’on dit autour de moi car cela a un impact sur mon travail, mes projets, mes objectifs… que je dois pouvoir travailler dans de bonnes conditions.
J’assume ma surdité dans ma vie privée, au travail aussi… mais le fait de dire des choses à des collègues, comme tu parles trop vite, de couper la parole en plein milieu d’une discussion, d’oser gêner mes collègues…
Risquer un regard compatissant, un soupir…
Deviner leur embarras encore plus grand…
C’est justement ce moment précis qui peut nous mettre tous dans cet embarras, un moment suspendu, un gros blanc gênant…
Si, dans leur attitude face à moi, la collègue sourde, leur gêne se voit, j’arrive à garder mon calme et à rassurer ces personnes.
C’est à moi de leur montrer comment on peut fonctionner ensemble… J’adapte mon discours en fonction des situations de travail, de la personnalité des gens.
Je souris beaucoup, ça fait partie de ma personnalité et c’est plus facile pour moi de rassurer ainsi.
Parfois, je fais de l’humour pour améliorer l’ambiance, casser cette gêne-là. Et ça passe mieux grâce à l’attitude positive !
Je dois leur montrer que je m’adapte à eux, et eux savent qu’ils doivent faire l’effort avec et pour moi. Ça ne peut marcher que dans les deux sens mais cela dépend surtout de l’ouverture d’esprit de ces personnes.
Parfois, plus tard, si quelque chose ne s’est pas bien passée, je leur envoie un mail privé comme je vous l’ai raconté plus haut, ou bien ces personnes me contactent pour s’expliquer ou me demander des explications.
Avec tous ces moments de gêne – ô combien j’en ai eus depuis le début de mon intégration, j’ai acquis cette maturité. J’arrive souvent à agir dans ce genre de situation.
Mais pas toujours à l’aise…
Alors, plus haut, j’ai dit : souvent. Le reste du temps, je suis mal à l’aise.
Quand pour une formation ou conférence, les vélotypistes doivent s’installer dans un coin pas toujours confortable,
Ou bien que le téléphone de la salle de réunion est en panne alors que la prestation de retranscription écrite à distance est réservée,
C’est gênant pour moi…
Autour de moi, cela peut renvoyer une image pas forcément positive. Dans ma tête, les collègues voient ça comme une contrainte ou une charge, peu importe, et je n’arrive pas toujours à passer outre ce sentiment-là.
Je dois prendre sur moi.
Je dois garder à l’esprit qu’on est obligé de passer par là, que ça ira mieux par la suite, que même si on m’a trouvée ‘gênante’ à ce moment-là, j’aurai affirmé ma position de salariée sourde face aux innombrables collègues entendants.
Et que, eux, ils connaissent enfin mes besoins réels.
Il m’arrive parfois de ne pas agir pendant toute une réunion au risque de perdre des informations capitales pour mon travail… parce que c’est fatiguant de penser tout le temps à cela.
ça dépend de mon humeur, de ma forme (je comprends moins bien quand je suis fatiguée ou malade), ça dépend aussi de la personne qui parle – par exemple si la personne est pressée ou s’il s’agit d’un directeur…
Difficile aussi de relancer des personnes avec qui on n’a pas d’affinité et qui oublient vite les réflexes avec moi.
Certes, c’est aussi beaucoup plus simple quand on est en petit comité, je me permets de leur dire quand ça ne va pas. Quand on est plus nombreux, c’est plus compliqué.
Comme si je devais les respecter au vu de leur nombre, non ?
Eh bien, non ! je sais au fond de moi que c’est faux, que j’ai raison sur le fait que je doive leur dire ce qui ne me convient pas. Je n’y arrive pas toujours car ce n’est pas forcément moi qui les anime, j’y travaille encore !
Mon image professionnelle vs ma fragilité ?
Alors que se passe-t-il si je ne m’exprime pas du tout ? ça risque de dégrader davantage mon image professionnelle, non ? en même temps, on a besoin de le dire quand cela ne va pas, sourd ou entendant sinon on court au burn-out, au mal-être…
Un jour, une ergonome handicap m’a dit : ‘Pourquoi ne t’exprimes-tu pas sur tes besoins ? C’est naturel.‘
Est-ce vraiment bien vu de montrer sa fragilité ? de montrer qu’on ne peut pas être tout le temps fort ? de ne pas être souvent au niveau d’intégration que l’on exige de moi ? de ne pas être aux normes de performance ? de montrer ses limites ? les contraintes de la surdité en terme de communication ?
- On nous a appris à nous intégrer à la société, à nous taire même quand ça ne va pas.
- On nous dit que l’on fait des efforts pour nous, qu’ils ont fait ça ou ci pour nous…
- Que nous profitons de notre surdité pour ne rien faire…
- Que nous ne les remercions pas assez…
Les gens sont peut-être maladroits mais cela a suffi pour nous conditionner à nous taire sur nos sentiments pour ne plus subir ce genre d’injustice qui est frustrant.
Nous ne sentions pas forcément écoutés, reconnus comme tels.
Nous avons l’impression de répéter souvent la même chose et qu’en retour, on ne voit pas grand chose qui nous facilite la vie. Donc on arrête tout simplement. Et on subit… Mais quand on ne veut plus subir au bout de XX années d’intégration, on devra assumer les conséquences dont nous n’avons plus l’habitude !
N’hésitez pas à commenter, ça me fera plaisir de voir que je ne suis pas la seule à me battre au travail 🙂
Merci pour ce témoignage de courage et de simplicité.
Je pense que, très paradoxalement, mettre à jour sa fragilité dans le cadre professionnel est une force.
C’est une plongée dans le grand bain pour celui qui le décide, avec cette impression de « seul contre tous », mais quelle valeur éducative pour ceux qui doivent s’ouvrir et se faire comprendre!
Magnifique témoignage d’une jeune femme épanouie! C’est très beau! 😀😀😀
Je me reconnais au travail mais je n’arrive pas à m’intégrer , je me sens inférieur , pas interessante aux yeux des entendants , . Lors des pauses je suis collée à mon téléphone je sais pas comment m’y intégrer je déteste de faire répéter les entendants , j’aime bcp communiquer ,avoir des informations, me cultiver . J’en ai marre qu’on me dit bonjour cava et ça s’arrête là . Je leur fais peur ou je les mets mal à l’aise . Mtt je fuis tout le monde . Je me sens si seule et debile . Mtt je ne suis pas sympa . Je n’arrive plus . Heureusement dans ma vie privée avec mes amis et famille je suis très heureuse 😀
Bonjour, si je peux me permettre, est-ce que tu as essayé une pause en tête à tête avec un(e) collègue que tu apprécies? souvent, je suis seule avec un ou une collègue pour des pauses; et ça me permet de découvrir plus finement la personnalité de l’autre (que l’on ne voit pas forcément en groupe)